Yebba ne replongera pas

Publié le 02-03-2021 05:00:39
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Alors qu'il rêvait des Jeux olympiques il y a encore quelques mois, le grand espoir du Stade Poitevin a décidé d'arrêter la natation de haut niveau, laissant Marc Brishoual dans l'incompréhension.

Il n'a pas voulu décrocher son téléphone. Pas tout de suite en tout cas. Il l'a fait ensuite, quelque temps après, pour parler et répondre aux questions, avant de finalement se raviser et de ne plus vouloir s'exprimer officiellement, « pour ne rien changer à la situation actuelle, du moins ne rien raviver chez personne. »

Le sujet est sensible, la blessure encore à vif, peut-être plus chez les autres que chez lui d'ailleurs. Mais s'il a changé d'avis quant à sa prise de parole, Wissam-Amazigh Yebba ne veut pas faire machine arrière. Pas sur sa décision en tout cas: celle d'arrêter la natation de haut niveau.

« Nager
n'avait plus
de sens pour lui »

Depuis mi-décembre et les championnats de France de Saint-Raphaël, le nageur du Stade Poitevin n'est plus vraiment retourné dans l'eau, ou alors en dilettante, en prenant part à quelques bouts de séances, loin du rythme stakhanoviste qu'il suivait depuis la rentrée 2019.
De tout à rien, son choix peut paraître aussi radical que surprenant. Même pour son désormais ancien entraîneur Marc Brishoual, mis devant le fait accompli. « Il s'est détaché aussi vite de la natation qu'il était profondément attaché à cette discipline, expose le technicien. Des choses qui lui semblaient fondamentales sont devenues, en l'espace d'un claquement de doigts, futiles. Nager n'avait plus de sens pour lui. C'est très surprenant et déstabilisant. »
Le directeur technique du Stade Poitevin y a beaucoup pensé depuis le début de l'année, a retourné le problème dans tous les sens, a essayé de dialoguer avec son jeune protégé sur qui il fondait de grands espoirs... Mais il ne comprend, encore et toujours, pas. « Il a toujours été demandeur, impliqué et passionné. Je me demandais si je serais à la hauteur de ses ambitions, si les conditions ici étaient en adéquation avec elles. Je me suis remis en question, j'ai beaucoup bossé et, pour moi, c'est très dur à encaisser. Petit à petit, je le digère. Mais ça me marque et ça me marquera personnellement et professionnellement. C'est d'autant plus incompréhensible que renoncer n'est pas dans mes gènes, surtout quand on n'a pas été au bout de l'histoire. »
L'histoire que les deux hommes avaient commencé à écrire à la rentrée 2019, quand l'ancien nageur du CN Niort avait replongé à Poitiers après huit mois de pause pour suivre des études médecine.
Avec cette médaille de bronze décrochée sur 200 m nage libre aux championnats de France Elite en petit bassin en décembre à Angers et un record personnel sur cette distance (1'48''44) battu quelques jours plus tard à Tours, les premières lignes resteront finalement et cruellement les plus belles. Elles n'auraient pourtant jamais dû l'être.
Car après cette reprise prometteuse, le duo s'était fixé de beaux objectifs avec les championnats d'Europe et même les Jeux olympiques de Tokyo en ligne de mire. « Il y a un an, nous étions en stage en Bilbao, on pensait tous les deux natation H24 et vous m'auriez demandé un pourcentage de chance pour qu'il se qualifie pour l'Euro, je vous aurais répondu 95% et pour les JO, j'aurais dit qu'il y avait plus de chances qu'il réalise les critères de qualification qu'il n'y arrive pas, avance Marc Brishoual. Ce qu'il faisait à l'entraînement, c'était de ce niveau-là. » Cela aurait dû lui donner de l'élan pour intégrer l'équipe de France. Il n'a jamais pu le prendre.
Le Covid est arrivé et a tout bouleversé. Wissam-Amazigh Yebba s'est pourtant longtemps accroché, comme lors du premier confinement quand il était allé nager avec un élastique dans une piscine à 18°, « ce que peu de nageurs auraient fait », assure Marc Brishoual, mais a fini par lâcher. « Ça a brisé une dynamique, c'est incontestable, annonce l'entraîneur du Stade Poitevin. Il n'a jamais eu de récompense, même si je ne suis pas convaincu que ça soit le fond du problème. En tout cas, il m'a souvent dit que sans le Covid, il aurait fait un championnat d'Europe, des manches de Coupe du monde... Tout ça a sauté et c'est sûr que ça l'a marqué. » Et il a craqué.
Quelques semaines avant les France à Saint-Raphaël, le nageur de 20 ans a besoin de souffler et sèche quelques séances d'entraînement. Il retournera dans l'eau mais quelque chose s'est sans doute brisé à ce moment-là. « Le deuxième confinement a correspondu avec les premiers moments difficiles qu'on a traversés, se souvient le directeur sportif du Stade Poitevin Cela a peut-être été le déclencheur, le révélateur, de tout ce qu'il avait absorbé avant. » L'après sera différent.
Les résultats ne sont pas là lors du rendez-vous hexagonal avec, entre autres, une septième place sur 200 m nage libre, « mais je m'y attendais et je pensais que ce serait un nouveau point de départ », estimait alors son ancien entraîneur. C'était un point final.
Le plaisir a déjà disparu. Nager ne représente pour lui plus qu'une contrainte, une souffrance. Les mises en garde de Marc Brisouhal sur les regrets qu'il pourrait nourrir dans quelques années n'ont pas pesé lourds face à ce qu'il ressentait.
Wissam-Amazigh Yebba a fait un choix. Bon ou mauvais, c'est le sien. Dans tous les cas, il ne replongera pas.

François Bellot